Interview Anne-Sophie Bailly

Que raconte « Mon inséparable » ?

Mon Inséparable raconte un séisme pour Mona. Elle approche de la cinquantaine et son fils Joël est "en retard", comme on dit. Il a la trentaine et travaille en ESAT, où il lui a caché une petite amie, elle aussi en situation de handicap. Mona apprend d’un coup que cette jeune femme existe, qu’elle s’appelle Océane, et qu’elle est enceinte. La relation très particulière, intense et ambivalente qui lie Mona à Joël va basculer. En exigeant sa liberté, son grand fils va lui faire reconsidérer la sienne.

Tu es sortie du département Réalisation de La Fémis en 2021, quels sont les films que tu as réalisé à l’école et les liens avec « Mon inséparable » ?

J’ai réalisé beaucoup de films à l’école, que j’ai vraiment prise à-bras-le-corps, comme un laboratoire géant. Mon tout premier film, Maman, fut pour moi la première occasion de mettre en scène une fiction. J’ai filmé l’une de mes meilleures amies qui est comédienne, et son tout petit bébé, Hector, dans une situation de garde cauchemardesque. Elle doit aller passer une audition, le père du gamin tarde à rentrer, et elle finit par confier son nourrisson à un jeune homme qui distribue des tracts pour Greenpeace, en réalisant juste après que l’audition est un traquenard - elle doit jouer avec une pomme géante sur la tête. Je crois que c’est une bonne façon de présenter ce que j’ai tenté à la Fémis, un mélange d’impulsion documentaire et de fiction forte, toujours inspirée par mes proches, dont beaucoup sont comédiens car je viens de cette profession. En 2019 j’ai réalisé En Travail, un documentaire suivant les jeunes sages-femmes et internes en obstétrique à la maternité de Montreuil, un film très marqué par l’étonnement immense que j’ai ressenti lorsque ma petite soeur, elle aussi interne en obstétrique à l’époque, a réalisé sa première césarienne. En troisième année, j’ai réalisé Acte Cent : la Relève, un film sans doute un peu moins tenu que les autres, plus désordonné, mais aussi très "troupesque" dans son exécution, l’histoire d’une femme qui traîne sa petite fille sur un rond-point gilet jaune où elle passe ses week-ends, le tout en comédie musicale. Pour mon film de fin d’études, j’ai réalisé la Ventrière, l’histoire d’une sage-femme et son apprentie qui se retrouvent prises dans la chasse aux sorcières à la fin d’un moyen-âge tardif et fantasmé. Enfin, j’ai expérimenté une forme longue, une sorte de long film laboratoire filmé chaque été dans la ferme où est née ma grand-mère, en Franche-Comté, avec les habitants du coin et ma troupe d’amis comédiens. Il s’intitule Notre Héritage, mêle une fiction familiale et des archives personnelles des acteurs, avec plusieurs régimes d’images. Hector était encore de la partie, il grandit pendant tout le film. J’ai donc commencé à creuser une lame de fond qui interroge la filiation, la transmission, la maternité, notions avec lesquelles j’entretiens un rapport rugueux, le moins poli possible. J’aime mettre en scène des groupes, et je travaille en troupe, comme au théâtre d’où je viens. Et aussi, je mêle toujours, de façon plus ou moins étroite, assumée et annoncée, des éléments documentaires et des éléments fictionnels. Par le casting, la création sciemment préparée d’ "accidents" de tournage, l’introduction d’éléments d’improvisation, d’autres régimes d’images, la présence de bébés... Je m’arrange pour que le réel vienne percuter le cours de mon travail fictionnel.

Qu’est-ce que tu retiens de ton passage à la Fémis ?

D’abord, bêtement peut-être, l’école m’a permis de découvrir beaucoup des métiers qui composent cet agrégat étrange qu’est le cinéma, son artisanat très technique. Je ne connaissais que peu le fonctionnement d’un plateau, uniquement de mon point de vue de comédienne, et je ne viens pas d’une famille cinéphile et encore moins de cinéma. Et puis, plus profondément peut-être, elle a développé cette appétence dont je parle plus haut, tant pour le documentaire que pour la fiction, qui m’a été permise par l’exigence première de l’école - expérimenter les deux. J’ai pu lier à ma connaissance intime du jeu, des acteurs, une tentative perpétuelle et renouvelée d’y insuffler des éléments documentaires. C’est aussi à l’école que j’ai rencontré une grande partie de mon équipe. C’est à l’école que j’ai appris à retrouver une dynamique de troupe sur un plateau de cinéma - en apprenant à gérer mon jusqu’au-boutisme, à écouter les autres sur mon plateau, à créer même une forme d’écriture collaborative à certains moments.